Un peu après le milieu du XIXe siècle (en 1863), on dénombrait encore 7,5 millions (près de 20 % de la population totale) de Français ignorant la «langue nationale» (sur près de 38 millions d'habitants). Selon les témoignages de l'époque, les enfants des villages de province ne retenaient guère le français appris à l'école; celui-ci «ne laisse pas plus de trace que le latin n'en laisse à la plupart des élèves sortis des collèges». Les élèves reparlaient «le patois au logis paternel». En 1831, dans l’une des lettres des préfets des Côtes-du-Nord et du Finistère à M. de Montalivet, ministre de l'Instruction publique, on pouvait lire ce texte sans équivoque dont le discours peut paraître aujourd'hui assez radicalisé:
[Il
faut] par tous les moyens possibles, favoriser l'appauvrissement, la
corruption du breton, jusqu'au point où, d'une commune à l'autre,
on ne puisse pas s'entendre [...], car alors la nécessité de
communication obligera le paysan d'apprendre le français. Il faut
absolument détruire le langage breton.
La
France commença ce qu'on appellerait maintenant son «génocide
culturel» dans toutes les régions françaises, particulièrement en
Bretagne. Avec l'adoption de la loi Ferry (1881), qui institua
l'école obligatoire et gratuite, le français s'imposa finalement
sur tout le territoire. Les patois ne purent que difficilement
résister aux méthodes de répression et aux techniques de
culpabilisation, de délation et d'espionnage, qui marquèrent des
générations d'enfants.
Au
début du siècle, comme la francisation n’allait pas assez vite au
gré du ministère français de l’Éducation nationale, les
autorités suggérèrent fortement de faire nommer des instituteurs
qui ignoraient tout des parlers locaux. Pour l'accession à tous
les emplois publics, chacun se soumit. La «bonne orthographe»
devint une marque de classe, c'est-à-dire de distinction sociale.
Évidemment, les enfants de la bourgeoisie réussirent mieux que ceux
de la classe ouvrière, qui montraient des réticences à adopter une
prononciation calquée sur l'orthographe. Tout au cours du XXe
siècle et jusque dans les années 1960, les gouvernements français
ont adopté pas moins de 40 lois concernant surtout l'enseignement,
la presse, l'administration et l'orthographe. Cette politique fut
appliquée partout en Afrique francophone. Forcément, les autres
pays francophones durent suivre le mouvement, notamment en matière
d'orthographe!En France, le discours anti-patois est toujours resté très profond chez les dirigeants politiques. Par exemple, en 1972, Georges Pompidou, alors président de la République, déclarait : «Il n'y a pas de place pour les langues et cultures régionales dans une France qui doit marquer l'Europe de son sceau.» La situation ne semble pas avoir évolué considérablement, car, lors des débats sur le traité de Maastricht, Robert Pandraud (député et ancien ministre) déclarait le 13 mai 1992:
Je
rends hommage à l'école laïque et républicaine qui a souvent
imposé le français avec beaucoup d'autorité — il fallait le
faire — contre toutes les forces d'obscurantisme social, voire
religieux, qui se manifestaient à l'époque. Je suis également
heureux que la télévision ait été un facteur d'unification
linguistique. Il est temps que nous soyons français par la langue.
S'il faut apprendre une autre langue à nos enfants, ne leur faisons
pas perdre leur temps avec des dialectes qu'ils ne parleront jamais
que dans leur village: enseignons-leur le plus tôt possible une
langue internationale!