Le français canadien


Ce qu'on appelle le français canadien est un français qui s'écarte jusqu'à un certain point du français standard en raison de son aspect phonétique archaïsant et d'un apport lexical particulier (canadianismes et anglicismes). En effet, le français parlé au Canada est marqué par ses origines: c'est un parler propre au nord de la France du XVIIIe siècle, encore relativement archaïsant au plan phonétique, légèrement différent dans un grand nombre de mots d'origine régionale (Normandie, Saintonge, Poitou, etc.), canadienne et britannique ou anglo-américaine. Mais on ne peut plus dire, comme des voyageurs français le rapportaient au XIXe siècle, qu'on s'imagine entendre parler les «contemporains du marquis de Montcalm» et que, selon les mots de lord Durham, les francophones du Canada sont restés «une société vieille et retardataire dans un monde neuf et progressif». De façon générale, le français canadien reste une «variété régionale de français», comme le sont celui des Wallons en Belgique et celui des Suisses romands. On observe dans ce français canadien régionalisé non seulement des mots des niveaux de langue familier et populaire, ainsi que des anglicismes et des emplois critiqués, mais également un niveau standard, qu'on appelle le français canadien standard ou parfois appelé le français québécois standard qui sert souvent de modèle aux Canadiens de langue française des autres provinces, à l'oral comme à l'écrit. Bien que les Canadiens francophones aient cessé de considérer leur français comme un «jargon inintelligible», il reste encore stigmatisé chez beaucoup d'entre eux. Pourtant, par rapport au chemin parcouru, le français parlé au Canada, notamment au Québec, s'est considérablement rapproché du français dit international. Elle est révolue l'époque où, comme le linguiste français Antoine Meillet pouvait écrire en 1918, que les Canadiens francophones «ne contribuent  pas à la culture française parce qu'ils ont rompu le contact avec elle».
Néanmoins, à l'exemple de l'anglais canadien terre-neuvien, le français canadien est marqué par une variété particulière utilisée dans les Maritimes: le français acadien. Si beaucoup de Français ayant immigré au Canada dans la vallée du Saint-Laurent au XVIIIe siècle provenaient du nord de la France (Normandie, Perche, Île-de-France, Bretagne, Champagne, Picardie, Anjou, Maine, Touraine, etc.), la plupart de  ceux qui se sont installés en Acadie étaient originaires de l'ouest de la France (Poitou, Aunis et Saintonge). Mais les variantes linguistiques notées en Acadie ne correspondent pas aux frontières provinciales. En réalité, il n'y a pas une seule variété acadienne dans les Maritimes, mais plusieurs. Par exemple, l'acadien du sud-est du Nouveau-Brunswick semble plus caractéristique que celui parlé dans le Nord-Ouest et celui parlé dans le Nord-Est. Plus que partout ailleurs en Acadie, l'alternance et l'emprunt à l'anglais semblent plus fréquents dans les communautés acadiennes du sud-est du Nouveau-Brunswick. De façon générale, les influences linguistiques franco-québécoises ont commencé à affecter la vitalité des acadianismes dans certaines régions. C'est un phénomène qu'on observe également en anglais canadien, même s'il semble de plus en plus s'homogénéiser au profit de l'anglo-ontarien.
Enfin, on parle beaucoup des anglicismes employés dans le français canadien, notamment au Nouveau-Brunswick et en Ontario où le français est en situation de contact intensif avec l'anglais. Après la Conquête britannique de 1763, on pouvait affirmer qu’un décalage, voire un fossé, a pris forme entre le français du Bas-Canada (Québec) et le français de France. Ce décalage s’est amplifié au cours du siècle suivant la Conquête au point où les anglicismes ont fini par creuser un véritable fossé entre les deux variétés de français. Toutefois, il semble bien que cet écart soit définitivement arrêté pour amorcer un certain rapprochement. Pour les Français, le parler «canadien», au demeurant «charmant» avec son «joli accent», est souvent perçu comme un peu «exotique», mais pas mauvais. Pour les Canadiens francophones, il est souvent considéré comme allant de «correct» à «mauvais», mais auquel ils s'identifient sans nul doute. Cela dit, l’augmentation de la scolarisation a sûrement été l’un des causes majeures de la standardisation du français au Canada, mais ce ne fut pas la seule. Le développement des médias électroniques et celui des communications internationales ont aussi contribué à rétrécir les écarts entre le français du Canada et celui de France. Mais il a fallu compter également sur la mainmise de l’État — surtout le Québec et le Canada fédéral, mais également le Nouveau-Brunswick et l'Ontario — dans le développement de l’identité collective et sur la progression économique des francophones dans les activités industrielles et commerciales.

L’influence de l’anglais (dans les sciences)


Jusqu'au XXe siècle, les mots anglais empruntés par le français ne s’étaient jamais imposés par doses massives, bien au contraire. L'apport anglais, soulignons-le, est récent dans l'histoire du français. On peut même dire que, jusqu'au XVIIe siècle, l'influence anglaise a été insignifiante: 8 mots au XIIe siècle, 2 au XIIIe, 11 au XIVe, 6 au XVe, 14 au XVIe, puis 67 au XVIIe, 134 au XVIIIe, 377 au XIXe et... 2150 au XXe siècle. Tous les emprunts antérieurs au xviiie siècle ont été intégrés au français de telle sorte que l'on ne les perçoit plus de nos jours comme des mots anglais: est (< east), nord (< north), ouest (< west), sud (< south), paletot (< paltok), rade (< rad), contredanse (< country-dance), pingouin (< pinguyn), paquebot (< packet-boat), comité (< committee), boulingrin (< bowling-green), interlope (< interloper), rosbif (< roast-beef), etc. Dès le milieu du XXe siècle, les États-Unis ont relayé la Grande-Bretagne et ont inondé de leurs mots le cinéma, les produits industriels, le commerce, le sport, l'industrie pétrolière, l'informatique et à peu près tout le vaste domaine des sciences et de la technologie américaine. En effet, l'histoire contemporaine peut témoigner que les emprunts anglais sont maintenant entrés dans la langue.  
En 1965, le linguiste français Pierre Guiraud dénombrait 700 mots anglais passés au français depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Outre le fait que le calcul restait sûrement en deça de la réalité, le nombre des emprunts à l'anglais s'est multiplié depuis ce temps – au moins 2500. Toutefois, à la différence de l'influence italienne qui a subi l'épreuve du temps, l'influence anglo-américaine est encore trop récente pour que nous puissions évaluer ce qu'il en restera dans cinquante ou cent ans. Comme on le sait, la plupart des emprunts transmis à une époque donnée sont appelés à disparaître dans les décennies qui suivent leur adoption. Quoi qu'il en soit, il est certain que l'influence de la langue anglaise restera très marquante dans l'histoire du français – comme celle du français sur l’anglais – et de plusieurs autres langues. 

La coexistence des usages


Cela étant dit, une autre tendance de notre époque consiste à tolérer la coexistence des normes et des usages français. Alors que jamais le nombre des locuteurs francophones n'a été aussi élevé et que jamais un aussi grand nombre d'États ne se sont intéressés au français, l'Autorité traditionnelle semble être morte. L'Académie française a perdu beaucoup de sa crédibilité et semble être devenue le vestige d'une époque révolue. Pensons à la réforme avortée de l’orthographe et à la position controversée sur la féminisation des titres. Aujourd’hui, les nouveaux «maîtres» de la langue sont davantage les médias et les publicitaires, dont l'influence est autrement plus considérable que celle des académiciens ou des terminologues. Dans ces conditions, les normes se modifient au gré des modes.
De plus, dans chaque région du monde où l'on parle le français, il s'est développé une prise de conscience de la langue comme instrument d'identification nationale. Les Wallons, les Suisses romands, les Canadiens francophones, les Maghrébins, les Sénégalais, les Ivoiriens, les Antillais, etc., ne veulent pas parler exactement comme les Français. Chaque pays a tendance à cultiver sa propre norme locale, c'est-à-dire une variété de français qui a conservé un certain nombre de traits originaux. Nos contemporains se permettent de moins en moins d'ignorer la langue commune, mais ils ne sont plus hantés par les questions relatives à la «pureté», à la «distinction» et à la «qualité». La spontanéité et l'aspect fonctionnel comptent davantage, sans mettre en péril la communication.

Le rôle de l’Instruction publique


Un peu après le milieu du XIXe siècle (en 1863), on dénombrait encore 7,5 millions (près de 20 % de la population totale) de Français ignorant la «langue nationale» (sur près de 38 millions d'habitants). Selon les témoignages de l'époque, les enfants des villages de province ne retenaient guère le français appris à l'école; celui-ci «ne laisse pas plus de trace que le latin n'en laisse à la plupart des élèves sortis des collèges». Les élèves reparlaient «le patois au logis paternel». En 1831, dans l’une des lettres des préfets des Côtes-du-Nord et du Finistère à M. de Montalivet, ministre de l'Instruction publique, on pouvait lire ce texte sans équivoque dont le discours peut paraître aujourd'hui assez radicalisé:
 
[Il faut] par tous les moyens possibles, favoriser l'appauvrissement, la corruption du breton, jusqu'au point où, d'une commune à l'autre, on ne puisse pas s'entendre [...], car alors la nécessité de communication obligera le paysan d'apprendre le français. Il faut absolument détruire le langage breton.
La France commença ce qu'on appellerait maintenant son «génocide culturel» dans toutes les régions françaises, particulièrement en Bretagne. Avec l'adoption de la loi Ferry (1881), qui institua l'école obligatoire et gratuite, le français s'imposa finalement sur tout le territoire. Les patois ne purent que difficilement résister aux méthodes de répression et aux techniques de culpabilisation, de délation et d'espionnage, qui marquèrent des générations d'enfants.
Au début du siècle, comme la francisation n’allait pas assez vite au gré du ministère français de l’Éducation nationale, les autorités suggérèrent fortement de faire nommer des instituteurs qui ignoraient tout des parlers locaux. Pour l'accession à tous les emplois publics, chacun se soumit. La «bonne orthographe» devint une marque de classe, c'est-à-dire de distinction sociale. Évidemment, les enfants de la bourgeoisie réussirent mieux que ceux de la classe ouvrière, qui montraient des réticences à adopter une prononciation calquée sur l'orthographe.  Tout au cours du XXe siècle et jusque dans les années 1960, les gouvernements français ont adopté pas moins de 40 lois concernant surtout l'enseignement, la presse, l'administration et l'orthographe. Cette politique fut appliquée partout en Afrique francophone. Forcément, les autres pays francophones durent suivre le mouvement, notamment en matière d'orthographe!
En France, le discours anti-patois est toujours resté très profond chez les dirigeants politiques. Par exemple, en 1972, Georges Pompidou, alors président de la République, déclarait : «Il n'y a pas de place pour les langues et cultures régionales dans une France qui doit marquer l'Europe de son sceau.» La situation ne semble pas avoir évolué considérablement, car, lors des débats sur le traité de Maastricht, Robert Pandraud (député et ancien ministre) déclarait le 13 mai 1992:
 
Je rends hommage à l'école laïque et républicaine qui a souvent imposé le français avec beaucoup d'autorité — il fallait le faire — contre toutes les forces d'obscurantisme social, voire religieux, qui se manifestaient à l'époque. Je suis également heureux que la télévision ait été un facteur d'unification linguistique. Il est temps que nous soyons français par la langue. S'il faut apprendre une autre langue à nos enfants, ne leur faisons pas perdre leur temps avec des dialectes qu'ils ne parleront jamais que dans leur village: enseignons-leur le plus tôt possible une langue internationale!

Là, nous ne sommes plus en 1950, mais dans les années quatre-vingt-dix! Quand on étudie la législation linguistique de la France, on constate que ce pays a adopté une quantité impressionnante de lois portant sur les cultures et les langues régionales, sur les collectivités territoriales et la langue française. On compte au moins une douzaine de lois, une vingtaine de décrets, plus de 40 arrêtés (dont une vingtaine sur la terminologie) et autant de circulaires administratives. La plupart de ces textes juridiques — dont la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, dite loi Toubon — traitent avant tout de la langue d'enseignement et de la terminologie française. Cela signifie que la législation française porte moins sur les droits linguistiques que sur la promotion de la langue française officielle. Il s'agit là d'une vieille tradition qui consiste à ignorer les langues régionales. Évidemment, durant tout ce temps, le Canada français dut s'aligner sur la politique linguistique française; n'ayant pas à combattre les patois régionaux, les élites canadiennes-françaises condamnèrent les variétés trop éloignées du français de France, notamment le joual. 

Le français contemporain


À la fin du XIXe siècle, le français est à peu près tel que nous le connaissons aujourd'hui. Le vocabulaire a continué de s'enrichir avec le parlementarisme de la IIIe République (1870-1940) et la création des partis politiques, la naissance des syndicats, de la grande finance et du grand capitalisme, la renaissance des sports, l'amélioration des moyens de transport: apparition de l'avion, de l'automobile, de l'autobus et du tramway électrique. Les emprunts à l'anglais d'outre-Manche pénétrèrent massivement dans la langue française. Mais l'unité linguistique prônée lors de la Révolution française était, du moins en France, loin d'être réalisée. Il a fallu plusieurs décennies d'efforts dans les écoles pour tenter de faire disparaître les «idiomes» parlés par les Français. Puis, la Première Guerre mondiale jeta les hommes de France pêle-mêle dans toutes les directions, colonies comprises. On n'avait jamais vu un tel brassage de populations, qui favorisa nécessairement l'uniformisation linguistique.

L’enrichissement du vocabulaire


Cette période agitée, constamment partagée entre le conservatisme et le libéralisme, se poursuivit encore après la révolte populaire de 1848, qui proclama la IIe République. Celle-ci fut aussitôt noyautée par les éléments les plus conservateurs de la bourgeoisie. Devant l'incapacité du gouvernement de maintenir la paix sociale, le président de la République, Louis-Napoléon Bonaparte (neveu de Napoléon Ier), prépara et réussit un coup d'État (1851), et se fit désigner comme l'empereur des Français (1851) sous le nom de Napoléon III; ce fut le Second Empire. Se présentant comme le champion du suffrage universel, le protecteur du monde ouvrier et de la religion, Napoléon III se transforma rapidement en véritable dictateur: il supprima la liberté de presse, exclut les opposants régime, exerça une politique extérieure belliqueuse, suscitant ainsi partout la révolte. Entraîné dans une guerre avec la Prusse, il fut fait prisonnier à Sedan (1870) et dut abdiquer, tandis que les forces ennemies marchèrent sur Paris, qui se rendit en 1871. Ce fut la fin du Second Empire et le début de la IIIe République, qui stabilisa enfin la France.

Au point de vue linguistique, ces dernières décennies ont surtout été bénéfiques pour l’enrichissement du vocabulaire. L'oppression intellectuelle du Second Empire favorisa un vigoureux brassage idéologique des mouvements d'opposition; le vocabulaire libéral, socialiste, communiste, voire anarchiste, gagna la classe ouvrière. Les applications pratiques des découvertes en sciences naturelles, en physique, en chimie et en médecine apportèrent beaucoup de mots nouveaux nécessaires à tout le monde. De nouvelles sciences apparurent, avec leur lexique: l'archéologie, la paléontologie, l’ethnographie, la zoologie, la linguistique, etc. Les ouvrages de vulgarisation, les journaux, les revues et, une nouveauté, la publicité, diffusèrent partout les néologismes. MM. Émile Littré (1801-1881) et Pierre Larousse (1817-1875) consignèrent chacun ces nouveautés dans leur dictionnaire. À la fin du Second Empire, le français concernait tout le monde en France. Même si l'unité linguistique n'était pas encore réalisée complètement (sauf au Canada), elle était devenue irréversible et imminente. Phénomène significatif, les patoisants virent leur parler local envahi par les mots du français moderne.

Le conservatisme scolaire sous Napoléon (1799-1815)


Par le coup d'État du 18 Brumaire, an VIII (9 novembre 1799), Napoléon Bonaparte voulut mettre fin à l'anarchie et au chaos économique. Son premier souci fut de restaurer l'ordre et l'autorité. Il y réussit en instaurant une dictature tout en redressant la situation financière, en stimulant l'industrie et en améliorant les communications. Mais la marche de l'empereur des Français vers l'hégémonie en Europe tint le pays en état de guerre permanent, jusqu'à la défaite de Waterloo (1815).
Napoléon était un Corse de petite noblesse et il ne pouvait avoir que des visées conservatrices en matière de langue. De langue maternelle corse (une langue italienne), il fit cesser tout effort en faveur du français. Par souci d'économie, il abandonna les écoles à l'Église, qui rétablit alors son latin anachronique. Quelques initiatives furent prises en faveur de l'enseignement du français, mais le bilan resta fort négatif: le nombre d'écoles demeura inférieur aux besoins et la pénurie de maîtres qualifiés laissa l'enseignement de la langue française assez déficient. Dans l'ensemble, la diffusion du français dans les écoles accusa même un recul. Par exemple, dans le sud de la France, on comptait plus de maîtres de latin que d'enseignants de français!
Comme au Grand Siècle, l'État créa un certain nombre d'organismes, tous d'inspiration conservatrice et chargés de veiller sur la langue. Ce fut le retour au classicisme louis-quatorzien: le français devait être fixé de façon permanente. La sobriété et la distinction furent remises à l'honneur; la langue de la science fut l'objet de suspicion et attira la foudre des censeurs, le vocabulaire technique fut jugé vulgaire. Un temps suspendue par la Révolution, l'Académie française fut rétablie et Napoléon habilla les académiciens comme ses généraux, avec des habits flamboyants.

Une telle conjoncture ne favorisa évidemment pas une évolution rapide de la langue. On n'enregistra pas beaucoup de changements linguistiques à cette époque, sauf dans le vocabulaire. Les guerres napoléoniennes favorisèrent les contacts avec les armées étrangères, ce qui entraîna un certain nombre d'emprunts à l'anglais. Hors de France, les conquêtes impérialistes de Napoléon achevèrent de discréditer le français dans toutes les cours européennes, et les nationalismes étrangers s'affirmèrent partout. On peut même dire que la période des guerres napoléoniennes a favorisé l'expansion de la langue... anglaise, car elle a suscité le nationalisme anti-français. Néanmoins, le français continua d'être utilisé à la cour du tsar de Russie, dans les traités de paix et dans les milieux scientifiques. En Amérique, la France perdit deux possessions importantes: Saint-Domingue (Haïti) et surtout la Louisiane qui, vendue par Napoléon aux États-Unis pour 15 millions de dollars en 1803, représentait un immense territoire (Arkansas, Dakota, Iowa, Kansas, Missouri, Montana, Nebraska, Oklahoma). De plus, en France même, le pays vit rétrécir sa superficie avec la perte de la Wallonie, de la Lorraine et de l’Alsace.

Du côté de la langue, l'action de l'État refléta les forces contradictoires de l'époque. La création d'un système d'enseignement primaire d'État (non obligatoire) en 1830 relevait d'un esprit libéral, car cet enseignement s'adressait à tous et prescrivait l'usage de manuels en français (non plus en latin). En revanche, la politique des programmes resta foncièrement conservatrice, car tout l'enseignement du français reposa obligatoirement sur l'orthographe de l'Académie française et la grammaire codifiée par François Noël (inspecteur général de l'Université) et Jean-Pierre Chapsal (professeur de grammaire générale), soit la célèbre
Grammaire française publiée en 1823 et adoptée par le Conseil royal de l'Instruction publique. Le titre complet de l'ouvrage était révélateur: Nouvelle Grammaire française sur un plan très méthodique, avec de nombreux exercices d'orthographe, de syntaxe et de ponctuation, tirés de nos meilleurs auteurs, et distribués dans l'ordre des règles. Cette grammaire connut 80 éditions en France jusqu'en 1889, puis quelques éditions et réimpressions à Montréal (Éditions J.B. Rolland), ainsi qu'une traduction américaine à Philadelphie (en 1878). Tous les enfants francophones du monde apprirent une énumération d'usages capricieux érigés en règlements qui ne tenaient pas compte des fluctuations possibles de la langue usuelle et où la minutie des exceptions formait l'essentiel de l'enseignement grammatical. La «bonne orthographe» devint une marque de classe, c'est-à-dire de distinction sociale. Naturellement, les enfants de la bourgeoisie réussirent mieux que ceux de la classe ouvrière, qui montraient des réticences à adopter une prononciation calquée sur l'orthographe.

Les nombreuses réformes visant à simplifier l'orthographe échouèrent toutes les unes après les autres. Progressivement, vers 1850, se fixa la norme moderne du français: la prononciation de la bourgeoisie parisienne s'étendit à toute la France, expansion facilitée par la centralisation et le développement des communications (chemin de fer, journaux).

La terreur linguistique


Par la suite, il parut nécessaire d'imposer le français par des décrets rigoureux à travers toute la France, une situation que ne connut jamais la langue anglaise. Charles-Maurice de Talleyrand (1754-1838), l'un des grands hommes politiques français de l'époque, proposa qu'il y ait une école primaire pour enseigner le français dans chacune des municipalités:
La langue de la Constitution et des lois y sera enseignée à tous; et cette foule de dialectes corrompus, dernier reste de la féodalité, sera contrainte de disparaître; la force des choses le commande.
 Puis, le décret du 2 Thermidor (20 juillet 1794) sanctionna la terreur linguistique. À partir de ce moment, les patois locaux furent littéralement pourchassés. Cette loi linguistique, même si elle fut abrogée presque aussitôt en raison de l'exécution de Robespierre (le 28 juillet 1794), nous donne une bonne idée des intentions des dirigeants révolutionnaires:
Article 1
À compter du jour de la publication de la présente loi, nul acte public ne pourra, dans quelque partie que ce soit du territoire de la République, être écrit qu'en langue française.
Article 2
Après le mois qui suivra la publication de la présente loi, il ne pourra être enregistré aucun acte, même sous seing privé, s'il n'est écrit en langue française.
Article 3
Tout fonctionnaire ou officier public, tout agent du Gouvernement qui, à dater du jour de la publication de la présente loi, dressera, écrira ou souscrira, dans l'exercice de ses fonctions, des procès-verbaux, jugements, contrats ou autres actes généralement quelconques conçus en idiomes ou langues autres que la française, sera traduit devant le tribunal de police correctionnelle de sa résidence, condamné à six mois d'emprisonnement, et destitué.
Article 4
La même peine aura lieu contre tout receveur du droit d'enregistrement qui, après le mois de la publication de la présente loi, enregistrera des actes, même sous seing privé, écrits en idiomes ou langues autres que le français.
Mais la «terreur linguistique» ne réussit pas à détruire la «tour de Babel dialectale». Outre les résistances de la part de la population, la sécularisation des lieux ecclésiastiques entraîna la disparition de la plupart des écoles, alors que l'État n'avait pas les moyens de les remplacer. L'enseignement du français demeura une ambition que les petites écoles de village ne purent se permettre de satisfaire, faute de moyens financiers et faute d'instituteurs. 
Même à Paris les écoles publiques ne fonctionnèrent pas, sinon fort mal, en raison du manque d'instituteurs (avec des salaires trop bas, un recrutement déplorable, l'absence de formation, etc.). Dans les écoles qui arrivaient à jour leur rôle, les administrations locales préférèrent traduire en patois ou en dialecte plutôt que d'utiliser le français; par souci de réalisme et d'efficacité, le système de la traduction se poursuivit tout au long de la Révolution, même sous la Terreur. Bref, contrairement à la plupart des idées reçues, la politique linguistique de la Révolution ne fut ni constante ni uniforme, et elle ne fut pas toujours répressive à l'égard des langues régionales.

La guerre aux patois


À la veille de la Révolution, la France était encore le pays le plus peuplé d'Europe (26 millions d'habitants) et l'un des plus riches. Néanmoins, les Français paraissaient bien insatisfaits. Les paysans formaient 80 % de la population et assumaient la plus grande partie des impôts royaux, sans compter la dîme due à l'Église et les droits seigneuriaux, alors qu'ils recevaient les revenus les plus faibles. La bourgeoisie détenait à peu près tout le pouvoir économique, mais elle était tenue à l'écart du pouvoir politique. Pendant ce temps, la noblesse vivait dans l'oisiveté, et l'Église possédait 10 % des terres les plus rentables du pays.
Il n'est pas étonnant que les révoltes populaires finirent par éclater, d'autant plus qu'elles avaient été préparées par la classe bourgeoise depuis longtemps. C'est le peuple qui prit la Bastille le 14 juillet 1783, qui fit exécuter Louis XVI et, en définitive, qui fit la Révolution, mais c'est la bourgeoisie qui accapara le pouvoir et c'est elle qui imposa sa variété linguistique.
La période révolutionnaire mit en valeur le sentiment national, qui s'étendit aussi au domaine de la langue; pour la première fois, on associa langue et nation. La langue devint une affaire d'État, car il fallait doter la «République unie et indivisible» d'une langue nationale et élever le niveau des masses par l'instruction, ainsi que par la diffusion du français. Or, l'idée même d'une «République unie et indivisible», dont la devise était «Fraternité, Liberté et Égalité», ne pouvait se concilier avec le morcellement linguistique et le particularisme des anciennes provinces du régime monarchique. Les révolutionnaires bourgeois y virent même un obstacle à la propagation de leurs idées; ils déclarèrent la guerre aux patois! Bertrand Barère (1755-1841), membre du Comité de salut public, déclencha l'offensive en faveur de l'existence d'une langue nationale. Dans un rapport «sur les idiomes» (les langues régionales) qu'il présenta devant la Convention du 27 janvier 1794, Barère présentait ainsi sa position:
La monarchie avait des raisons de ressembler à la tour de Babel; dans la démocratie, laisser les citoyens ignorants de la langue nationale, incapables de contrôler le pouvoir, c'est trahir la patrie... Chez un peuple libre, la langue doit être une et la même pour tous. [...] Combien de dépenses n'avons-nous pas faites pour la traduction des lois des deux premières assemblées nationales dans les divers idiomes de France! Comme si c'était à nous à maintenir ces jargons barbares et ces idiomes grossiers qui ne peuvent plus servir que les fanatiques et les contre-révolutionnaires!
Il n'était surtout pas le seul à penser ainsi! L'un des membres les plus célèbres de la classe dirigeante, l'abbé Henri-Baptiste Grégoire (1750-1831), publia en 1794 son fameux Rapport sur la nécessité et les moyens d'anéantir les patois et d'universaliser l'usage de la langue française. Il dénonçait la situation linguistique de la France républicaine qui, «avec trente patois différents», en était encore «à la tour de Babel», alors que «pour la liberté» elle formait «l'avant-garde des nations». Il déclara à la Convention: «Nous n'avons plus de provinces et nous avons trente patois qui en rappellent les noms.» Avec une sorte d'effroi, l'abbé Grégoire révéla dans son rapport qu'on ne parlait «exclusivement» le français que dans «environ 15 départements» (sur 83). Il lui paraissait paradoxal, et pour le moins insupportable, de constater que moins de trois millions de Français sur 25 parlaient la langue nationale, alors que celle-ci était utilisée et unifiée «même dans le Canada et sur les bords du Mississipi». Devant le Comité de l'Instruction publique, l’abbé Grégoire déclara, le 20 septembre 1793: 
Ainsi disparaîtront insensiblement les jargons locaux, les patois de six millions de Français qui ne parlent pas la langue nationale car, je ne puis trop le répéter, il est plus important qu'on ne pense en politique d'extirper cette diversité d'idiomes grossiers qui prolongent l'enfance de la raison et la vieillesse des préjugés.
Un discours se développa dans lequel le terme langue restait l'apanage exclusif du français appelé «notre langue». Tout ce qui n'était pas français s'appelait patois ou idiomes féodaux: c'était pour Grégoire le breton, le normand, le picard, le provençal, le gascon, le basque, etc. Il parlait même de «l'italien de Corse» (corse) et de «l’allemand des Haut et Bas-Rhin» (alsacien) qu'il qualifiait d’«idiomes très dégénérés». Enfin, il signalait que «les nègres de nos colonies» pratiquaient «une espèce d’idiome pauvre» qu'il associait à la «la langue franque». Ce serait là des affirmations grotesques pour un linguiste contemporain!


La Révolution française (1789-1870)


La période 1789-1870 en fut une d'agitation et de changement de régimes, mais marqua aussi une transition avec le français contemporain. Elle marqua aussi le triomphe de la bourgeoisie, qui s'installa au pouvoir. Après la dictature de Napoléon, ce fut le retour à la monarchie qui, cette fois, était établie sur des bases constitutionnelles. Puis ce fut la IIe République, suivie d'une autre dictature avec Napoléon III. La France se stabilisa avec la proclamation de la IIIe République en 1870. 
Pendant cette période, la Grande-Bretagne exerça sa suprématie non seulement en Europe, mais en Asie, au Moyen-Orient et en Amérique. Ailleurs, on assista à l’expansion de la Russie, à l'indépendance de la Belgique, de la Grèce (contre les Turcs), de la Bulgarie et de la Serbie, ainsi qu'à l'unification de l'Italie et à celle de l'Allemagne. Pendant que l'Amérique se décolonisait, les grandes puissances européennes prirent possession de l’Afrique.

Le siècle des Lumières (1715-1789)


Cette autre période de transition débuta au lendemain de la mort de Louis XIV, en 1715, et prit fin avec l’avènement de la Révolution française en 1789. Elle se caractérise, d'une part, par un fort mouvement de remise en question ainsi que par l'établissement d'une plus grande tolérance et, d'autre part, par l'affaiblissement de la monarchie, suivi de la fin de la suprématie française en Europe et du début de la prépondérance anglaise ailleurs dans le monde. La société française s'ouvrit aux influences extérieures, particulièrement à celles venant de l'Angleterre devenue la première puissance mondiale, surtout après la Conquête du Canada en 1760 et le traité de Paris de 1763. Le parlementarisme et le libéralisme anglais attirèrent l'attention, de même que la guerre de l'Indépendance américaine (1775-1782) perçue comme une vengeance de la France (après avoir perdu le Canada) à l'égard de la Grande-Bretagne. Le français était alors à l'Europe ce que l'anglais est aujourd'hui dans le monde: la grande langue de communication. Par exemple, les classes instruites de Grande-Bretagne étaient généralement bilingues (comme le seront tous les premiers gouverneurs de l'Amérique du Nord britannique au Canada) et on en retrouvait encore beaucoup parmi les leaders de la Révolution américaine (pensons surtout à Benjamin Franklin, Thomas Jefferson, John Adams, Gouverneur Morris, James Monroe et Robert R. Livingston, les ministres plénipotentiaires américains les plus importants).

L’État français ne se préoccupait pas encore de franciser le royaume: les provinces nouvellement acquises, de même que les colonies d'outre-mer (Canada, Louisiane, Antilles, etc.), ne nécessitaient pas de politique linguistique particulière. L'unité religieuse et l’absence de conflits inquiétaient davantage les dirigeants: l'administration du pays ne nécessitait pas la francisation ses citoyens.
On estime qu'à cette époque moins de trois millions de Français pouvaient parler ou comprendre le français, alors que la population atteignait les 25 millions, soit 12 % de la population. Le peuple ne parlait pas «la langue du roy», mais un français populaire non normalisé, encore parsemé de provincialismes et d'expressions argotiques. Seules les provinces de l'Île-de-France, de la Champagne, de la Beauce, du Maine, de l'Anjou, de la Touraine et du Berry étaient relativement francisantes.
Par contre, la plupart des gens du peuple qui habitaient la Normandie, la Lorraine, le Poitou et la Bourgogne étaient des semi-patoisants; les habitants de ces provinces pratiquaient une sorte de bilinguisme: ils parlaient entre eux leur «patois» (issu du latin comme le français), mais comprenaient le français.
Dans le midi de la France, les «patois» constituaient l'unique usage dans les campagnes durant tout le XVIIIe siècle. En effet, nobles et bourgeois, initiés au français durant le siècle précédent, continuaient d'employer leur «patois» local dans leurs relations quotidiennes. Pour eux, le français restait la «langue du dimanche», c'est-à-dire la langue d'apparat des grandes cérémonies religieuses ou civiles. Les seuls à parler le français encore à cette époque étaient ceux qui exerçaient le pouvoir, c'est-à-dire le roi et sa cour, les juristes, les officiers des forces armées, ceux qui écrivaient et qui, de fait, résidaient à Paris. Mais le peuple de la région parisienne parlait encore le briard, le beauceron et le percheron, ou un français non normalisé très différent de celui de la cour. Fait curieux: c'est le français parisien qui se répandit en Nouvelle-France!

Cela dit, le français progressa au cours du XVIII
e siècle, notamment dans le pays de langue d'oïl, en raison, entre autres, de la qualité, assez exceptionnelle pour l'époque, du réseau routier en France. La langue bénéficia de cette facilité; les usines et les manufactures virent affluer du fond des campagnes des milliers d’ouvriers qui se francisèrent dans les villes; les marchands et les négociants voyageaient facilement d'une ville à l'autre, ce qui rapprocha leur parler local du français; un système de colporteurs se développa, qui voiturèrent périodiquement des livres et des journaux français jusque dans les campagnes les plus éloignées.

Paradoxalement, l'école demeura le grand obstacle à la diffusion du français. L'État et l'Église estimaient que l'instruction était non seulement inutile pour le peuple, mais même dangereuse. Voici à ce sujet l'opinion d'un intendant de la Provence (1782), une vision très révélatrice de l'attitude générale véhiculée au sujet des écoles:
Non seulement le bas peuple n'en a pas besoin, mais j'ai toujours trouvé qu'il n’y en eût point dans les villages. Un paysan qui sait lire et écrire quitte l'agriculture sans apprendre un métier ou pour devenir un praticien, ce qui est un très grand mal!
Dans l'esprit de l'époque, il paraissait plus utile d'apprendre aux paysans à obtenir un bon rendement de la terre ou à manier le rabot et la lime que de les envoyer à l'école. Pour l'Église, le désir de conquérir des âmes à Dieu ne passait pas non plus par le français; au contraire, le français était considéré comme une barrière à la propagation de la foi, et il fallait plutôt s'en tenir aux patois intelligibles au peuple. Sermons, instructions, confessions, exercices de toutes sortes, catéchismes et prières devaient être prononcés ou appris en patois. Dans les collèges et universités, l'Église s'obstinait à utiliser son latin comme langue d'enseignement, une langue qui demeurait encore au XVIIIe siècle la clé des carrières intéressantes. Dans de telles conditions, on ne se surprendra pas que l'école fut même la source principale de l'ignorance du français chez le peuple.
Au point de vue du vocabulaire, ce fut une véritable explosion de mots nouveaux, notamment de termes techniques savants, puisés abondamment dans le grec et le latin. De plus, l'infiltration étrangère se mit à déferler sur la France; la langue s'enrichit de mots italiens, espagnols et allemands, mais cet apport ne saurait se comparer à la «rage» pour tout ce qui était anglais: la politique, les institutions, la mode, la cuisine, le commerce et le sport fournissent le plus fort contingent d'anglicismes. Curieusement, les censeurs linguistiques de l'époque ne s'élevèrent que contre les provincialismes et les mots populaires qui pénétraient le français; ils croyaient que la langue se corrompait au contact des gens du peuple.

Une langue véhiculaire


La langue française parlée par l'élite pénétrait encore à pas de tortue dans la langue du peuple, qui ignorait tout des règles d'ordre, de pureté, d'élégance et d'harmonie. L'analphabétisme se situait à cette époque autour de 99 % en France (comme partout en Europe). Le peuple était gardé dans l’ignorance totale: l’essentiel de l'enseignement demeurait celui de la religion, qui se faisait généralement en «patois» local, parfois même en latin. Lors de ses déplacements, Louis XIV se faisait haranguer en picard, en flamand, en alsacien, en breton, en occitan, etc. Malgré les velléités du ministre Colbert, aucune politique d'intervention linguistique ne fut entamée. Les nouvelles provinces annexées au royaume furent même dispensées d'appliquer l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539. Paradoxalement, à la même époque, le français était davantage parlé en Nouvelle-France (surtout au Canada et en Acadie, moins en Louisiane), en Angleterre, aux Pays-Bas et à Moscou qu'en France même.

Pendant ce temps-là, en 1714, lors du traité de Rastadt, le français «officiel» fut employé pour la première fois dans la rédaction d'un document juridique international, et il demeurera la langue diplomatique jusqu'à la guerre de 1914-1918. C'est cette langue aristocratique qui était parlée dans presque toutes les chancelleries de l'Europe et employée comme langue des tractations diplomatiques; elle avait détrôné le latin, même si celui-ci demeurait encore d'usage courant. Des historiens racontent que des écrivains allemands s'indignaient que certains de leurs compatriotes réservaient le français pour la «conversation» et ne parlaient l'allemand «qu'à leurs chevaux». Souvenons-nous de ces propos de l’empereur Charles Quint (1500-1556) qui disait: «Je parle anglais aux commerçants, italien aux femmes, français aux hommes, espagnol à Dieu et allemand à mon cheval.» C’est peut-être une blague, mais elle en dit long... sur l'idéologie linguistique de l'époque.

La mainmise des grammairiens sur le français


À cette époque, le français n'était encore qu'une langue langue officielle à diffusion restreinte en France même. Essentiellement courtisane, aristocratique et bourgeoise, littéraire et académique, elle était parlée par moins d'un million de Français sur une population totale de 20 millions, soit 5 % de la population. Étant donné que les nobles ne comptaient que pour environ 4000 personnes à la cour, ce sont les bourgeois et les grands commerçants qui, en nombre absolu, parlaient surtout le français.
En ce siècle d'organisation autoritaire et centralisée, ce sont les grammairiens qui façonnèrent la langue à leur goût; le règne de Louis XIV aurait produit plus d'une centaine de ces censeurs professionnels, la plupart des disciples de Claude Fabre de Vaugelas (1585-1659), le plus connu des grammairiens de son époque. Celui-ci publia en 1647 les Remarques sur la langue française. Cette affirmation sur le «bon usage» du français l'a rendu fort célèbre: 
Le mauvais [usage] se forme du plus grand nombre de personnes, qui presque en toutes choses n'est pas le meilleur, et le bon au contraire est composé non pas de la pluralité, mais de l'élite des voix, et c'est véritablement celui que l'on nomme le maître des langues. Voici donc comment on définit le bon usage : c'est la façon de parler de la plus saine partie de la Cour.
À l'image du roi, la langue vécut une époque de «distinction» et de consolidation. Pour les grammairiens, le français était parvenu «au comble de la perfection»; il fallait préconiser l'usage d'un vocabulaire choisi et élégant. Les grammairiens demeuraient tout préoccupés d'épurer la langue par crainte d'une corruption éventuelle et de proscrire les italianismes, les archaïsmes, les provincialismes, les termes techniques et savants, bref les mots jugés «bas». L'Académie française continua de veiller sur la «pureté» de la langue et publia la première édition de son dictionnaire en 1694. Tout comme les sujets de Louis XIV, les mots furent regroupés par classes; le vocabulaire ne comprenait que les termes permis à l'«honnête homme» et s'appuyait sur la tradition du «bon usage» de Vaugelas.
Placée entre les mains des habitués des salons et de la cour de Louis XIV, la langue littéraire fut celle du monde élégant et cultivé, c'est-à-dire 1 % de la population. Son vocabulaire, appauvri par un purisme — un souci exagéré de la pureté de la langue — irréductible, ne s'enrichit pas, sauf par un certain nombre d'emprunts à l'italien (188 mots), à l'espagnol (103 mots), au néerlandais (52 mots) et à l’allemand (27 mots). Quant à la phrase, elle se raccourcit et se simplifia; on délaissa les longues phrases guindées. Dans la grammaire, il n'y eut pas de faits nouveaux remarquables, sauf la disparition du -s du pluriel dans la prononciation, lequel reste depuis uniquement un signe orthographique.

Le français du Grand Siècle et des Lumières

Au XVIIe siècle, la France était la plus grande puissance démographique et militaire de l'Europe, alors que le pays était gouverné avec autorité par des fortes personnalités: Henri IV, le cardinal de Richelieu, puis le cardinal de Mazarin et Louis XIV, ce dernier ayant dominé son époque pendant plus de cinquante ans (1638-1715), le plus long règne de l'histoire de France. C'est avec Henri IV (1553-1610) que commença l'absolutisme royal en France. Imposé par les souverains de France, le français était dorénavant considéré à égalité avec ce qu'on croyait être alors comme les trois «langues du bon Dieu»: l'hébreu, le grec et le latin.

Sous le règne de Louis XIII (1610-1643), le puissant cardinal de Richelieu s'employa à restaurer l'autorité royale au moyen d'une centralisation renforcée, d'une réorganisation de l'armée et de la marine, de la création d'une police omniprésente. Richelieu créa l'Académie française en 1635, qui fut chargée de rédiger un dictionnaire, une grammaire, une rhétorique et une poétique, et de veiller sur la langue française. En 1661 commença le règne personnel de Louis XIV. Tout le pouvoir fut concentré entre les mains du Roi-Soleil qui était persuadé que le pouvoir absolu était légitime et représentait Dieu en France. La soif du pouvoir poussa Louis XIV à rechercher et à obtenir en partie l'hégémonie en Europe, ce qui a fait de son long règne (1661-1715) une suite ininterrompue de guerres.