La terreur linguistique


Par la suite, il parut nécessaire d'imposer le français par des décrets rigoureux à travers toute la France, une situation que ne connut jamais la langue anglaise. Charles-Maurice de Talleyrand (1754-1838), l'un des grands hommes politiques français de l'époque, proposa qu'il y ait une école primaire pour enseigner le français dans chacune des municipalités:
La langue de la Constitution et des lois y sera enseignée à tous; et cette foule de dialectes corrompus, dernier reste de la féodalité, sera contrainte de disparaître; la force des choses le commande.
 Puis, le décret du 2 Thermidor (20 juillet 1794) sanctionna la terreur linguistique. À partir de ce moment, les patois locaux furent littéralement pourchassés. Cette loi linguistique, même si elle fut abrogée presque aussitôt en raison de l'exécution de Robespierre (le 28 juillet 1794), nous donne une bonne idée des intentions des dirigeants révolutionnaires:
Article 1
À compter du jour de la publication de la présente loi, nul acte public ne pourra, dans quelque partie que ce soit du territoire de la République, être écrit qu'en langue française.
Article 2
Après le mois qui suivra la publication de la présente loi, il ne pourra être enregistré aucun acte, même sous seing privé, s'il n'est écrit en langue française.
Article 3
Tout fonctionnaire ou officier public, tout agent du Gouvernement qui, à dater du jour de la publication de la présente loi, dressera, écrira ou souscrira, dans l'exercice de ses fonctions, des procès-verbaux, jugements, contrats ou autres actes généralement quelconques conçus en idiomes ou langues autres que la française, sera traduit devant le tribunal de police correctionnelle de sa résidence, condamné à six mois d'emprisonnement, et destitué.
Article 4
La même peine aura lieu contre tout receveur du droit d'enregistrement qui, après le mois de la publication de la présente loi, enregistrera des actes, même sous seing privé, écrits en idiomes ou langues autres que le français.
Mais la «terreur linguistique» ne réussit pas à détruire la «tour de Babel dialectale». Outre les résistances de la part de la population, la sécularisation des lieux ecclésiastiques entraîna la disparition de la plupart des écoles, alors que l'État n'avait pas les moyens de les remplacer. L'enseignement du français demeura une ambition que les petites écoles de village ne purent se permettre de satisfaire, faute de moyens financiers et faute d'instituteurs. 
Même à Paris les écoles publiques ne fonctionnèrent pas, sinon fort mal, en raison du manque d'instituteurs (avec des salaires trop bas, un recrutement déplorable, l'absence de formation, etc.). Dans les écoles qui arrivaient à jour leur rôle, les administrations locales préférèrent traduire en patois ou en dialecte plutôt que d'utiliser le français; par souci de réalisme et d'efficacité, le système de la traduction se poursuivit tout au long de la Révolution, même sous la Terreur. Bref, contrairement à la plupart des idées reçues, la politique linguistique de la Révolution ne fut ni constante ni uniforme, et elle ne fut pas toujours répressive à l'égard des langues régionales.