Une langue véhiculaire


La langue française parlée par l'élite pénétrait encore à pas de tortue dans la langue du peuple, qui ignorait tout des règles d'ordre, de pureté, d'élégance et d'harmonie. L'analphabétisme se situait à cette époque autour de 99 % en France (comme partout en Europe). Le peuple était gardé dans l’ignorance totale: l’essentiel de l'enseignement demeurait celui de la religion, qui se faisait généralement en «patois» local, parfois même en latin. Lors de ses déplacements, Louis XIV se faisait haranguer en picard, en flamand, en alsacien, en breton, en occitan, etc. Malgré les velléités du ministre Colbert, aucune politique d'intervention linguistique ne fut entamée. Les nouvelles provinces annexées au royaume furent même dispensées d'appliquer l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539. Paradoxalement, à la même époque, le français était davantage parlé en Nouvelle-France (surtout au Canada et en Acadie, moins en Louisiane), en Angleterre, aux Pays-Bas et à Moscou qu'en France même.

Pendant ce temps-là, en 1714, lors du traité de Rastadt, le français «officiel» fut employé pour la première fois dans la rédaction d'un document juridique international, et il demeurera la langue diplomatique jusqu'à la guerre de 1914-1918. C'est cette langue aristocratique qui était parlée dans presque toutes les chancelleries de l'Europe et employée comme langue des tractations diplomatiques; elle avait détrôné le latin, même si celui-ci demeurait encore d'usage courant. Des historiens racontent que des écrivains allemands s'indignaient que certains de leurs compatriotes réservaient le français pour la «conversation» et ne parlaient l'allemand «qu'à leurs chevaux». Souvenons-nous de ces propos de l’empereur Charles Quint (1500-1556) qui disait: «Je parle anglais aux commerçants, italien aux femmes, français aux hommes, espagnol à Dieu et allemand à mon cheval.» C’est peut-être une blague, mais elle en dit long... sur l'idéologie linguistique de l'époque.